© Ann Anderson |
Il était une fois une vieille
reine dont le mari était mort depuis de longues années. Elle avait une jolie
fille, qui, en grandissant, fut promise au fils d'un roi. Quand vint le temps
du mariage, et qu'elle devait partir pour ce royaume étranger, la vieille reine
lui prépara des objets précieux, des parures, de l'or et de l'argent, des
gobelets, des bijoux, bref, tout ce qui sied à une dot princière, car elle
aimait son enfant de tout son cœur.
Elle lui donna aussi une
camériste qui devait voyager avec elle et la conduire à son fiancé. Chacune
reçu un cheval pour le voyage. Celui de la princesse se nommait Falada. Et il
savait parler. Lorsque vint le temps des adieux, la mère se rendit dans la
chambre de sa fille, et, prenant un petit couteau, se coupa au doigt de façon à
tirer un peu de sang. Elle prit un petit mouchoir blanc, y laissa tomber trois
gouttes de sang, et donna le mouchoir à sa fille en lui disant :
- Chère enfant, garde-le
précieusement, il te sera bien utile en cours de route.
la-gardeuse-d-oies-grimmIllustré par Paul Perret |
Elles prirent tristement congé
l'une de l'autre. La jeune fille glissa le mouchoir dans son corsage, monta en
selle et partit pour rejoindre son fiancé.
Après avoir chevauché pendant
une heure, elle eut une grand soif et dit à sa camériste :
- Descends de cheval, va à ce
ruisseau et remplis le gobelet que tu as apporté pour moi. J'ai envie de boire.
- Si vous avez soif, répondit
la camériste, descendez vous-même de cheval, penchez-vous au-dessus de l'eau et
buvez. Je n’ai pas envie d’être votre servante.
La princesse, qui avait grand
soif, descendit de cheval, se pencha sur le ruisseau et but. Mais elle ne put
pas boire dans le gobelet d’or.
- Ah! mon Dieu, dit-elle.
Alors, les trois gouttes de
sang répondirent:
Il est mieux que ta mère
Ne sache pas tout cela
Car son cœur à coup sûr
Volerait en éclats.
Ne sache pas tout cela
Car son cœur à coup sûr
Volerait en éclats.
Mais la fille du roi était
courageuse, ne dit rien et remonta à cheval. Elles chevauchèrent encore
quelques lieues. Mais la journée était chaude, le soleil tapait fort. Bientôt,
elle eut à nouveau soif. Arrivant près d'un cours d’eau, elle dit à sa
camériste :
- Descends de cheval et
donne-moi à boire dans mon gobelet d'or.
Elle avait déjà oublié les
méchantes paroles de la camériste depuis longtemps. Mais celle-ci lui répondit
avec plus de morgue encore :
- Si vous avez soif, buvez
toute seule, Je n’ai point de goût à être votre servante!
La princesse avait soif.
Alors, elle descendit de cheval, se pencha pour boire et dit en pleurant :
- Ah! Mon Dieu!
Et les trois gouttes de sang
dirent à nouveau :
Il est mieux que ta mère
Ne sache pas tout cela
Car son cœur à coup sûr
Volerait en éclats.
Ne sache pas tout cela
Car son cœur à coup sûr
Volerait en éclats.
Comme elle buvait, le petit
mouchoir avec les trois gouttes de sang glissa hors de son corsage et partit au
fil de l’eau. Elle ne s'en aperçut, tant elle avait peur. Mais la camériste,
elle, avait tout vu et se réjouissait d'avoir à présent la fiancée à sa merci:
car en perdant les gouttes de sang, elle était devenue faible et sans défense.
La Gardeuse d'Oies Grimm © Perret |
Comme elle voulait remonter
sur son cheval qui s’appelait Falada, la camériste lui dit :
- Falada est pour moi à
présent, toi, tu auras ma vieille carne!
Bon gré mal gré, il fallut
bien qu'elle se soumît. Ensuite, la camériste lui ordonna sèchement d’enlever
ses habits royaux et de revêtir ses guenilles de servante. Et lui fit aussi
jurer devant Dieu qu'elle ne dirait rien à âme qui vive à la cour du roi.
N’eût-elle pas consenti, qu’elle eût été assassinée sur-le-champ. Mais Falada
avait tout vu … et tout retenu.
La camériste monta donc
Falada, la princesse monta la mauvaise carne et elles poursuivirent ainsi
jusqu'au château du roi.
Gardeuse d'Oie Illustration © Hellen Stratton
On s’y réjouit grandement de leur arrivée. Le fils du
roi vint à leur rencontre, et aida la camériste à descendre de cheval, pensant
qu'elle était sa promise. On la conduisit en haut des escaliers, tandis que la
vraie princesse devait rester en bas. A ce moment, le vieux roi, qui regardait
par la fenêtre, la vit dans la cour et remarqua combien elle était belle et
délicate. Il se rendit aussitôt dans l'appartement royal et demanda à la fausse
fiancée qui était cette jeune fille arrivée avec elle et qui se tenait
présentement dans la cour.
- Je l'ai rencontrée en chemin
et je l'ai emmenée avec moi pour avoir de la compagnie. Donnez, je vous prie,
du travail à cette servante, qu'elle ne reste pas oisive.
Mais le vieux roi n'avait pas
de travail pour elle et ignorant tout lui répondit:
- J'ai là un jeune garçon qui
garde les oies, elle n'aura qu'à l'aider.
Ce garçon se nommait Conrad et
la vraie fiancée dut l'aider à garder les oies.
Peu de temps après, la fausse
fiancée dit au jeune roi :
- Cher époux, je vous prie,
faites-moi une grâce.
- Je la ferai volontiers ,
répondit-il.
- Faites venir l'équarrisseur
pour qu'il coupe la tête du cheval sur lequel je suis arrivée car pendant le
voyage, il m'a mise en colère.
De fait, elle craignait que le
cheval ne racontât son inconduite avec la fille du roi.
La véritable fiancée l’apprit
et quand le moment vint où le fidèle Falada devait mourir, elle promit à
l'équarrisseur une pièce d'argent en échange d’un petit service. Il y avait
dans la ville une grande porte, très sombre, qu'elle passait chaque matin et
chaque soir avec ses oies. Elle le pria d'y accrocher la tête de Falada afin
qu'elle puisse le voir toujours. Le valet de équarrisseur promit de le faire.
Et en effet, il prit la tête et la cloua solidement au-dessus de la porte.
Le lendemain, à l’aube, comme
elle passait la sombre porte avec Conrad, elle dit à la tête :
Ô toi, mon Falada, qui es
accroché là…!
Alors la tête répondit :
Ô princesse, ma, princesse,
Qui passe chaque jour par là
Il est mieux que ta mère
Ne sache pas tout cela
Car son cœur à coup sûr
Volerait en éclats.
Qui passe chaque jour par là
Il est mieux que ta mère
Ne sache pas tout cela
Car son cœur à coup sûr
Volerait en éclats.
La Gardeuse d'Oies Grimm © Perret |
Elle sortit de la ville sans
en dire davantage et conduisit ses oies au pré. Quand elle fut arrivée, elle
s'assit par terre et défit ses cheveux qui étaient comme de l'or. Conrad la
regardait et était heureux. Comme il voulut en prendre un elle dit :
Souffle, souffle vent léger,
Le bonnet de Conrad
Presse-toi d’emporter!
Souffle, souffle vent léger
Et qu’il revienne vers moi
Quand je serai recoiffée!
Le bonnet de Conrad
Presse-toi d’emporter!
Souffle, souffle vent léger
Et qu’il revienne vers moi
Quand je serai recoiffée!
© Jessie Wilcox Smith |
Et soudain un vent si fort se
leva qu’il emporta le bonnet de Conrad. Il courut à sa poursuite travers la
campagne et quand il revint, comme elle avait fini de se recoiffer il ne put
plus lui voler un cheveu. Il en fut bien fâché et ne lui parla plus. Ainsi, ils
gardèrent les oies jusqu'au soir, puis rentèrent au château.
Le lendemain matin, alors
qu’ils passaient sous la sombre porte, la jeune fille dit :
Ô! toi, mon Falada, qui es
accroché là…
Et Falada répondit :
Ô princesse, ma, princesse,
Qui passe chaque jour par là
Il est mieux que ta mère
Ne sache pas tout cela
Car son cœur à coup sûr
Volerait en éclats.
Qui passe chaque jour par là
Il est mieux que ta mère
Ne sache pas tout cela
Car son cœur à coup sûr
Volerait en éclats.
Arrivée au pré, elle s'assit
de nouveau par terre et commença à défaire ses cheveux. Conrad courut vers elle
pour en attraper un. Alors prestement elle dit :
Souffle, souffle vent léger,
Le bonnet de Conrad
Presse-toi d’emporter!
Souffle, souffle vent léger
Et qu’il revienne vers moi
Quand je serai recoiffée!
Le bonnet de Conrad
Presse-toi d’emporter!
Souffle, souffle vent léger
Et qu’il revienne vers moi
Quand je serai recoiffée!
Le vent emporta le chapeau de
Conrad et quand il revint enfin, elle avait déjà arrangé sa coiffure. Il ne put
attraper un seul cheveu. Ainsi, ils gardèrent les oies jusqu'au soir.
gardeuse d'oie Illustration © Hellen Stratton |
Mais, ce soir-là après avoir
regagné le château, Conrad alla voir le vieux roi et lui dit :
- Je ne veux plus garder les
oies avec cette fille.
- Et pourquoi cela? , demanda
le vieux roi.
- Ah! elle m’ennuie toute la
journée.
Le vieux roi lui ordonna de
raconter tout ce qui s’était passé.
Conrad obéit :
- Le matin, quand nous passons
la sombre porte avec le troupeau il y a une tête de cheval accrochée au mur.
Elle lui parle, et lui dit :
- Ô toi, mon Falada, qui es
accroché là…!
Et la tête répond :
- Ô princesse, ma, princesse,
qui passe chaque jour par là, il est mieux que ta mère ne sache pas tout cela!
Car son cœur à coup sûr volerait en éclats!
Conrad raconta aussi ce qui se
passait ensuite dans le pré aux oies et comment il était obligé chaque jour de
courir après son bonnet.
© Crane Walter illustrateur |
Le vieux roi lui ordonna de
retourner garder les oies le lendemain. Au matin, il se cacha derrière la
sombre porte et entendit comment la jeune fille parlait à la tête de Falada. Il
alla ensuite dans les prés et se dissimula derrière un buisson. Il vit la
gardeuse et le gardien d'oies amener le troupeau et bientôt, la jeune fille
s'asseoir et défaire ses cheveux qui brillaient comme l’or. Là, elle dit à
nouveau :
Souffle, souffle vent léger,
Le bonnet de Conrad
Presse-toi d’emporter!
Souffle, souffle vent léger
Et qu’il revienne vers moi
Quand je serai recoiffée!
Le bonnet de Conrad
Presse-toi d’emporter!
Souffle, souffle vent léger
Et qu’il revienne vers moi
Quand je serai recoiffée!
Le vent se leva et Conrad dut
courir derrière son bonnet pendant que la servante se recoiffait. Le vieux roi
observa tout. Il rentra sans qu'on l’aperçût et, quand la gardeuse d’oie fut
revenue le soir, il la fit appeler et lui demanda pourquoi elle agissait ainsi.
- Je ne peux pas vous le dire,
répondit-elle, tout comme je ne peux dire mon malheur à personne au monde, car
je l'ai juré devant Dieu pour éviter d’être tuée.
Le roi voulut l’obliger à
parler et ne la laissa pas en repos, mais il ne put rien tirer d’elle.
Alors il dit :
- Si tu ne veux rien me dire,
va donc raconter tes malheurs au poêle.
Et il s'en alla.
© Crane Walter |
La vraie fiancée se traîna
jusqu’au poêle, pleura, et, vidant son cœur, dit :
- Me voici, abandonnée du
monde entier, quoique fille de roi. Une méchante camériste m'a forcée à lui
donner mes habits royaux. Elle a pris ma place auprès de mon fiancé et m’a
contrainte à servir comme gardeuse d'oies. Si ma mère savait tout cela, son
cœur, à coup sûr, volerait en éclats.
Cependant, le vieux roi qui se
tenait dehors près de la cheminée entendit tout. Il revint et l’appela.
Il ordonna qu’on lui rapportât
ses vêtements royaux, elle les mit et soudain, c’était miracle tant elle était
belle. Alors, le vieux roi fit appeler son fils et lui expliqua qu'il avait
épousé une fausse fiancée, qui n’était en réalité qu’une camériste et qu’enfin
la véritable fiancée était la gardeuse d’oies. Le jeune roi en fut rempli de
joie en la voyant si belle et si courageuse.
On prépara un grand repas
auquel tous furent priés. Le fiancé était assis en bout de table, avec d’un
côté la fille du roi et de l’autre la camériste. Mais celle-ci, éblouie par les
bijoux de la princesse ne la reconnut point. Quand ils eurent mangé et bu et
que tout le monde fut de bonne humeur, le vieux roi proposa une devinette à la
camériste :
- Que peut valoir une servante
qui aurait trompé tout son monde ?
Il raconta toute l'histoire et
demanda:
- Quelle peine aurait-t-elle
mérité ?
La fausse fiancée
répondit :
- Elle ne vaut pas mieux que
d'être placée, toute nue, dans un tonneau couvert de clous pointus à
l'intérieur, auquel on attèlera deux chevaux blancs qui la tireront de ruelles
en ruelles jusqu'à ce qu'elle passe.
- Cette servante, c'est toi!,
dit le vieux roi, et tu as prononcé ta propre sentence: tu seras traitée ainsi!
Quand la peine eut été
exécutée, le jeune roi épousa sa véritable fiancée et tous deux régnèrent dans
la paix et la félicité.
Jacob et Wilhelm Grimm
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